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- bon pour remuer les bras de ces êtres à ressort qui savent
- également porter au carnage un cilice ou le livre des
- droits de l’homme.
- Quelques auteurs, qui se disoient philosophes,
- semblèrent, il est vrai, n’écrire que pour égarer l’opinion,
- que pour substituer à des préjugés funestes une licence,
- une légèreté plus funestes encore. Mais faut-il blasphémer
- la sagesse, parce que des profanes, abusant de son nom,
- méconnurent les saintes lois de cette morale éternelle que
- la philosophie étudie pour le repos de la terre ? Parce
- qu’on abusa du talent de joindre la force des pensées aux
- beautés de l’expression, doit-on proscrire l’éloquence
- aussitôt qu’elle n’est plus seulement l’art frivole d’un
- rhéteur, et qu’elle s’étend aux objets que l’indépendance
- des idées peut seule approfondir [1] ? |
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- S’il est un écrivain funeste, c’est celui qui usurpe
- l’autorité de la raison pour en pervertir l’usage, et qui, osant
- ↑
- L’habitude change l’estimation des choses. Quand on a passé vingt
- ans à arranger des mots, on commence à juger que | c’est l’art suprême.
- Cependant ce n’est pas seulement la difficulté, mais surtout l’utilité qui
- fait le mérite des œouvres humaines. S’il en étoit autrement, le danseur
- de corde qui amuse les bonnes et les enfans seroit quelquefois un plus
- grand homme que le général qui repousse l’ennemi, et qui sauve
- plusieurs provinces. Admirez le talent du poëte harmonieux, du prosateur
- élégant, mais s’ils ne disent rien d’utile, n’en faites pas de grands
- hommes : tout est perdu si vous mettez au niveau d’Epaminondas et de
- Thémistocle[,] Anacréon et Pindare, ou si c’est Jean-Baptiste que vous
- appelez le grand Rousseau. Où en serions-nous si l’on n’avoit jamais
- écrit que des madrigaux et des sonnets ? Ôtez les vrais législateurs, les
- grands hommes d’état et les écrivains utiles, donnez à chaque ville une
- Sapho et même un Racine, et les deux tiers de la population de l’Europe
- sont encore esclaves, les villes conquises sont encore brûlées, les femmes
- sont livrées aux soldats, la jeunesse est emmenée en captivité, Muley-
- Ismaïl tranche des têtes pour essayer son cimeterre, Néron brûle la
- moitié de sa capitale pour chanter un incendie, nos riches pour manger
- de meilleurs poissons les nourrissent de chair humaine, cinquante
- mille hommes sont empalés dans une île pour avoir fait le signe de la
- croix, et tout un peuple à genoux supplie le dragon de ne pas manger
- la lune.