Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/193

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naires du crime chez tous les peuples dans les temps de
crise ; qu’on employa l’instrument qui s’offrit à la main
comme on en eût employé d’autres, sans qu’il soit juste
d’accuser l’ouvrier qui avoit poli, pour un travail utile,
cet acier qu’on fit servir au meurtre ; qu’en France, pendant
deux ou trois années, quelques tyrans subalternes
abusèrent de certains mots, comme, à trois cents lieues
d’ici, l’on abusa, pendant dix siècles, de certaines phrases ;
que l’influence des Épaminondas, des Confucius, des
Cicéron dans leur patrie, n’en fit ni la foiblesse, ni le
malheur ; et que s’il existoit un lieu où l’expérience de la
philosophie eût été faite dans l’établissement et le
gouvernement des états modernes, ce seroit la Pensylvanie,
dont les mœurs valent au moins celles du Bas-Empire,
et dont l’administration le cède peu à celle des états
ecclésiastiques.
Si les écrits de Montesquieu, de Jean-Jacques, de
Voltaire, ont été l’un des moyens de la révolution, ce n’est
pas une raison d’admettre qu’ils en aient été la cause.
Cette cause étoit dans la situation des choses. Le Contrat-
Social ou le Sens-Commun n’étoient pas plus nécessaires
à la chute de Louis XVI qu’ils ne le furent à celle de
Charles I.
Pourquoi rendre Jean-Jacques ou Montesquieu responsables

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de ce qu’ils n’ont ni désiré, ni con|seillé, de ce que
jamais ils n’eussent approuvé ? Pour qu’une révolution
se fasse, il faut qu’un gouvernement soit vieux et foible,
ou qu’il soit oppresseur et corrompu. Il faut qu’il se
trouve un homme en état de profiter des circonstances,
et que des voisins l’appuient. Les meneurs en second,
payés par les puissans ou par les ennemis extérieurs, se
servent de ce qui se présente pour exciter la foule ; ils
crient Liberté ! comme ils crieroient Religion ! tout est