Aller au contenu

Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

[123]

HUITIÈME RÊVERIE




Lorsque les premiers frimats ont achevé de dépouiller
les arbres et de resserrer la terre ; lorsque semblant
terminer sans retour les douceurs de l’automne, ils ont forcé

5

notre espoir à n’en plus attendre que de la saison de
renouvellement, souvent il arrive que tout à coup l’air
s’adoucit, et le ciel prend un aspect plus heureux : la terre
reposée se livre avidement à ces influences, et l’homme facilement
séduit croit, dans quelques jours froids et sombres,

10

avoir passé toute entière la saison des frimats ; il jouit
déjà du printemps avant même le solstice d’hiver. Dans
ces jours incertains un vent, un brouillard suffisent pour
ôter à la terre ses inutiles émanations, et à l’homme sa
touchante erreur ; mais ces instans du moins ont un

15

charme égal aux jours les plus rians du printemps et les
plus doux de l’automne. Je ne sais même si leur volupté

[124]

n’a pas | quelque chose de plus achevé : elle réunit
l’espoir et la mélancolie, tandis que les joies du printemps
manquent de douleur, et que la mélancolie d’automne

20

n’a point d’espérance. Cette volupté ineffable mais précaire,
se soustrait par son inconstance même à l’art stérile
qui efface les impressions en raisonnant les jouissances.
C’est ainsi que nulle fleur ne nous touche davantage que
la Violette cachée sous l’herbe : le sentiment qui en émane

25

s’offre à nous et s’y refuse aussitôt ; nous le cherchons en
vain, un léger souffle a entraîné son parfum, il le ramène
et l’entraîne encore, et son caprice invisible a fait notre