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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/131

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ses affections, et jusqu’à quelle borne ses facultés extensives
pouvoient ajouter à son bonheur ? Non, telle n’est
point la marche sociale, et ce seroit encore une erreur
que de s’en étonner. Ces recherches ne peuvent se faire
que dans le silence des passions ; comment eussent-elles

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convenu à des générations nouvelles qui, précisément
opposées à nous, avoient l’ame forte et l’esprit grossier ;
qui agissoient et ne raisonnoient point ; et qui, sans
expérience, et, dès-lors sans moyens de pressentir les résultats
indirects, se dévoient précipiter dans l’ordre de choses

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qu’ils entrevoyoient, avec cette avidité que donne à de

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jeunes | cœurs l’espoir d’obtenir des jouissances
nouvelles. De plus, les arts et les autres connoissances étoient
la plupart susceptibles de marcher à pas lents, soit par
leur nature même, soit parce que les premières sociétés

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avoient un besoin moins impérieux d’en faire usage, soit
parce que, dans ces arts positifs, il falloit nécessairement
découvrir des vérités pour obtenir des résultats. Au
contraire, dans la morale et les lois, l’on pouvoit s’avancer
rapidement sans rien connoître, s’égarer long-tems avant


    la seule science utile à l’homme est encore informe. Je ne parle pas des résultats et des préceptes : on a bien dit ce qui est, on a presque dit ce qui doit être parmi nous ; mais le pourquoi de ce qui est et de ce qui seroit, on ne l’a pas dit que je sache. C’est peu de chose de voir les effets, selon Pascal, c’est dans les causes qu’est la vérité. Le pourquoi est essentiel, c’est par là que les lois de la sagesse doivent être affermies. Quand les principes seront reconnus, les lois seront durables comme le monde. Un jour j’essayerai d’en dire quelque chose. *Cette lenteur de la vérité dans les recherches morales, n’est nullement surprenante : ces – 23. pouvoient – 27. agissaient beaucoup, et raisonnoient peu – 29. devaient se – 30. qu’elles – 30-31. à des cœurs jeunes – 32-3. nouvelles. En morale et en politique, la vérité a dû être tardive, précisément parce qu’on avoit besoin des résultats prématurés. L’on s’est avancé dans l’erreur, en s’y égarant, de plus en plus, et néanmoins en se hâtant toujours, car il falloit arriver promptement à quelque chose. *Les arts, et la plupart des autres connoissances, devoient marcher – 33-4. lents, soit parce que – 36. dans les arts, il faut – 38-43. morale convenue et dans les autres lois, on pouvoit décider sans connoître, et se tromper long-temps