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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/161

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L’habitude est une loi indirecte que l’on reçoit plus

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volontiers que toute autre loi, et qui bientôt les peut faire
toutes aimer, si elles sont bonnes ou même indifférentes
de leur nature ; c’est donc par ce lien indirect qu’il
conviendroit de retenir l’indomptable imagination.
L’imagination combine les idées conservées des objets

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simples, non selon leurs rapports réels qui forment les
êtres existans, mais dans leurs rapports possibles ou
supposés tels, dont résultent des êtres ou absens, ou
chimériques, ou même fantastiques et contradictoires. Une
imagination sage s’écarte peu de ce qui existe ou de ce

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qui est certainement possible : une imagination déréglée
n’est pas limitée par les probables ; elle unit des parties
incohérentes, elle crée des monstres ; son travail l’exalte,
elle les voit présens, elle devient folie. Les autres facultés de
l’homme qui n’ont pour objet que ce qui existe, étoient

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déjà susceptibles du trop | d’extension ; mais dans la sphère
indéfinie des possibles, il s’égarera bien plus encore : c’est-
là principalement qu’il doit se circonscrire et s’imposer
des lois.
S’il peut supposer des êtres imaginaires, si même il

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peut quelquefois donner l’existence à ces enfans de son
imagination lorsqu’elle les a formé de parties harmoniques
et qui n’attendoient qu’une main qui les assemblât,
c’est par-là surtout qu’il étend ses relations bien
plus que ses forces, et sa dépendance bien plus que son

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empire ou ses plaisirs. C’est par son imagination qu’il a
reçu le plus de moyens de modifier son être : de toutes
ses facultés, elle est la plus active, la plus illimitée et la


    n’emploient jamais une force superflue. – 19. loi tacite que – 20-1. bientôt peut les faire aimer toutes si – 21-2. ou seulement indifférentes : c’est – 23. l’imagination si difficile à dompter.