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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/162

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plus avide dans ses conceptions, mais la plus impuissante
pour en réaliser les objets. C’est dans cette source

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toujours plus abondante de sensations nouvelles, qu’il
trouvera quelques biens et des maux sans nombre. C’est-
là surtout que le choix importe ; il lui vaudroit mieux
mille fois tout rejeter que de tout admettre, et négliger
quelques avantages plus spécieux qu’utiles, que de s’asservir

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à tant de besoins que le cours naturel des choses ne
sauroit jamais satisfaire, et dont l’infaillible effet sera le
mépris des choses réelles et le dégoût de la vie.

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Les terreurs imaginaires, les puissances in|visibles et
menaçantes, les spectres, les fantômes sinistres furent les

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fruits d’une ignorance inquiète dans les siècles d’oppressions
et de misères intolérables. Par une conséquence
analogique, des esprits sombres, aigris par leurs douleurs
réelles, imaginèrent des effets plus imposans et plus
terribles du principe désastreux de souffrance et de mort qui

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sans cesse corrompoit pour l’homme l’œuvre universelle
du Dieu d’ordre, de paix et d’harmonie. La sécurité d’un
bonheur constant, sa lumière douce et pacifique dissiperoit
plus puissamment que les éclairs de la stérile raison, tous
ces fantômes lugubres exhalés de l’abîme des misères

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humaines.
Il seroit plus difficile de renoncer aux rêves heureux.
Peut-être aussi pourroit-on tolérer [S 1] ces erreurs spécieuses
dont l’espoir durant autant que la vie, a cet inconvénient
de moins que l’on n’éprouve jamais le malheur d’être

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désabusé : mais redoutez surtout les chimères terrestres ;
elles mettent des calamités inévitables à la place des biens
imprudemment promis. Il n’est pas de moment plus
pénible que celui où notre attente trompée efface elle-

[180]

même le plaisir | et montre son néant. Fatigué de
  1. Dans une cit& imparfaite.