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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/204

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biens, n’est que l’équilibre parfait entre ces deux

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contraires. Il y a plus ; si le mal ou le bien existoit seul, il
seroit nécessairement unique ; il n’y a point de différence
dans ce qui est un, ni de degrés dans ce qui est sans
mélange. Alors tous les instans de la vie sont absolument
semblables, et il n’est aucune différence entre l’extrême

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volupté et l’extrême douleur. Si l’on ne dévore ces
absurdités, l’on est contraint d’admettre l’équilibre général
entre les deux principes ; car la différence entre les biens
de la vie prouve qu’elle a ses maux qui leur opposent
une résistance : cette résistance est, en quelque sorte,

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tantôt passive et tantôt active. Si le mal existe pour un
seul individu, le tout n’est donc plus parfait par l’unité
du bien ; il est parfait cependant, autrement il ne subsisteroit
pas. Si, donc nous voulons absolument expliquer
ce que nous ne pouvons connoître que par une analogie

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incertaine, et juger dans nos conceptions circonscrites les
moyens inaccessibles de la perfection pour l’être illimité,
nous ne pouvons la déduire que de l’accord éternel de
deux moyens opposés, comme l’immobilité d’un corps

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résulteroit | de l’action égale de deux efforts opposés en

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direction. Ne disons pas que le bien étant préférable au
mal, cet accord ne fait point un univers parfait.
Souvenons-nous que la préférence absolue que nous donnons
aux biens est dans leurs rapports à nous, une vérité de
sentiment ; mais que dans l’étude de l’essence des choses,

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il peut n’être qu’une erreur de raison : le desir des biens
nous fut donné pour balancer par son énergie la force de
la nécessité qui nous impose les maux ; qu’il dirige nos
actions, mais qu’il n’abuse pas notre raison. La nature ne
nous fait toujours desirer que pour que nous ne souffrions

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pas toujours ; elle ne veut pas que nous n’ayons que des
biens, seulement elle nous les fait desirer exclusivement,