Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/25

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extrêmes, et la vénération de l’inconnu, et l’amour du
gigantesque, et l’habitude des passions ostensibles, et
l’orgueil des vertus austères, et la manie des abstractions,

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et la vanité de l’intellectuel, et la crédulité pour l’invisible,
et le préjugé universel de la perfectibilité. Lisons
avec impartialité dans le grand livre des désastres du

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monde. | Les fatigantes puérilités des études, des négociations
et des arts, les prestiges de la gloire, l’apathie de

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la servitude, l’opinion si facile aux novateurs, si puissante
sur la foule prévenue, et les spectres célestes, et
le rêve d’un autre monde, et le fanatisme des passions
consacrées, ont livré tous les peuples aux sollicitudes
réelles, aux terreurs de l’idéal, à tous les genres d’oppressions,

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de souffrances et de fureurs. Qu’un zèle généreux,
animant le génie de son impérieuse audace, apprenne à
la terre désolée, que l’on peut encore ne pas désespérer
de l’homme altéré, déformé, vieilli ; et que dans ce cercle
de mutations précaires, les formes indélébiles doivent se

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reproduire de l’épuisement des habitudes sociales, et
l’homme primordial rester subsistant quand aura passé
l’homme d’un jour.

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À qui sera-t-il donné de conduire cette réforme générale,
dont les obstacles sont si grands, mais la nécessité si

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impérieuse ? qui possédera les moyens nécessaires pour
persuader les hommes prévenus, et renverser les erreurs
gigantesques de leurs bases antiques et vénérées ? qui réunira
l’universalité des connaissances dont le génie le plus
vaste a besoin pour juger toutes les faces des choses dans

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un seul apperçu, unir leurs rapports dans un système qui
n’admette rien d’occulte ou d’arbitraire, et déduire de
leurs nombreuses données une solution rigoureusement
vraie et parfaitement simple ? quel génie sera assez grand
et assez véritablement savant pour bannir de la terre ces