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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/252

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n’étendrez jamais que vos desirs et vos misères. Vous
pourrez épuiser la terre qui vous porte, mais le foyer
dévastateur sera dans vos cœurs, il vous consumera les
premiers.
Sans doute il est pour l’espèce comme pour l’individu

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une vieillesse inévitable ; mais pourquoi l’avancer par une

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impulsion factice au | lieu de la retarder par un régime
de modération et de sobriété. La véritable enfance est
une vie incomplète, qui s’essaye, et est encore informe ;
elle jouit de l’accroissement de ses forces dans l’espoir de

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leur maturité ; mais l’enfance de la décrépitude est un état
misérable, une vie épuisée, stérilisée pour l’espoir même,
une vie annullée, toujours vaine et souvent ridicule. On
vous dit que tout sera perfectionné, et moi je vous dis
que tout sera suranné, et que tout sera avili. On vous dit

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que l’espèce ne vieillit point, on vous dit encore qu’il
n’en est pas des corps politiques comme des individus ;
on vous abuse : tout est analogie dans la nature ; mais
l’on ne veut voir qu’un jour de l’histoire des générations ;
l’on apprend trop, l’on ne perçoit plus rien une

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philosophie d’esprit sans profondeur est le premier des fléaux de
ce siècle [S 1]. Nous précipitons [S 2] notre existence en

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perdant | l’univers social. On admire [S 3] ; mais le penseur
  1. Siècle privilégié et à jamais mémorable ; siècle rapidement
    avancé dont les constitutions s’écrivent en vaudevilles, dont les
    enfans savent persiffler la morale, dont les philosophes versifient
    dans les maisons de bals, dont les chevaux dansent la Gavotte.
  2. Les stimulans de la Torride peuvent avoir contribué à
    nous vieillir. Leurs feux agissent moins dans l’Inde, parce qu’on
    y est moins actif ; mais l’inquiétude européenne, excitée par leur
    fermentation, produit ces hommes remuans et agités dont le
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    reste du globe voit la folie avec un étonnement toujours
    nouveau.
  3. Voudrois-je donc que l’on rétrogradât vers ces ténèbres de
    superstition et de servitude, dont la terre est encore si générale-