Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/42

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tée, quoique plus étendue que sa sphère primitive, il
juge toujours très faussement, puisqu’il ne veut plus
juger selon son être seul, et ne peut jamais juger selon
l’universalité des êtres.
Pour estimer seulement deux êtres individuels, selon

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leurs rapports ou leurs diffé|rences [S 1] réelles et essentielles,
il faudroit connoître la nature entière ; pour connoître
ainsi la nature, il faudroit l’avoir toute entière
éprouvée, avoir vécu dans toutes ses parties, les avoir
toutes senties, avoir réagi sur toutes. Cette expérience de

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toutes choses étant impossible à l’espèce humaine, sa
science sera donc toujours incomplète et vaine.
Mais l’homme peut avoir la science suffisamment
parfaite des rapports les plus directement propres à ses
besoins qui existent entre lui et les choses extérieures les

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  1. Je ne dis pas pour connoître leur essence. Elle ne peut être
    connue de nulle intelligence.
    Pourquoi prétendre parvenir à définir la matière, etc. N’est-il
    pas évident que nous ne saurions avoir d’autres connoissances
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    que celles produites par les différences entre les sensations reçues
    des divers objets. La connoissance de l’être n’existe point ; ou si
    elle existe, il nous est impossible de concevoir même sa possibilité.
    Toute intelligence n’est que la science des rapports, l’estimation
    des différences entre les sensations comparées. Si l’universalité
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    des êtres a la conscience, le sentiment d’elle-même, son intelligence
    ne peut être d’une autre nature que celle de l’individu
    animé. C’est peut-être en ce sens que l’on a dit que l’homme
    étoit fait à l’image de l’ame universelle.

    ment, puisqu’il ne jugera pas selon les convenances de son être seul, et qu’il ne pourra jamais – 289. Pour comparer – 289-91. composés individuels, il faudroit connoître le mécanisme de la nature – 292-3. il faudroit avoir vécu – 394-6. senties toutes – expérience de tous les accidens est impossible : la science est donc incomplète

  1. C, XVIIIe Rêv., p. 112-115 = lignes 297-330 et note 11. – 297. L’homme peut avoir une connaissance suffisamment – 299. besoins, de certains rapports qui – 300-9. science est utile : elle est vraie à certains égards, et ce