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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/62

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et qui, toujours semblable, puisse indifféremment s’unir
à toutes [S 1].

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Il n’est pas deux effets semblables dans la nature : nous

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ne saurions être affectés deux fois d’une manière vraiment
égale ; ainsi, la rêverie la plus abandonnée ne peut reproduire
la même série d’idées dans son cours involontaire.
Il n’est pas besoin, pour être émus d’une manière toujours
nouvelle, de passer des bords d’un paisible canal au

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sommet des monts dépouillés par les orages, ou du pâle
couchant de la lune, à l’éclat des feux du midi. Dans le
même site, les peupliers ne seront pas aujourd’hui balancés
par les vents, de même qu’ils l’étoient hier ; le cri

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nocturne | des hibous ne sera pas autant de fois répété

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dans les rochers caverneux ; le ruisseau précipite ses ondes
d’une manière qui nous paroît semblable, mais le soleil
ne donne plus d’éclat à la blancheur de ses vagues
écumeuses ; le cygne, qui nage dans ses remoux, a fait fuir le
poisson qui s’y jouoit hier ; et l’églantier, qui penchoit ses

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fleurs sur sa rive, a perdu leurs pétales desséchées sur son
gravier stérile ou emportées par ses eaux. Le soleil vient
à luire dans le vallon, c’est une solitude charmante ; un
  1. Lorsque les circonstances ne permettent pas une marche
    lente et comme mesurée, ou une action uniforme des bras, pourquoi
    n’y suppléeroit-on pas par le mouvement facile et égal de la
    langue qui déplace et presse des parcelles de fruits séchés, ou
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    d’autres préparations presqu’indifférentes au goût et lentes à
    dissoudre ? Ce mouvement, convenable par sa lenteur et sa facilité,
    a même sur les autres l’avantage de ne pas devenir fatiguant par
    sa durée, de n’être pas interrompu involontairement, et d’agir sur
    nos sens d’une manière qui, tenant à nos premiers besoins, satisfait
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    mieux celui du mouvement. Il n’est point de considérations
    indifférentes dans les raisons des choses, et rien de petit dans ce
    qui interprète la nature. Celui-là est fait pour la sentir toute
    entière, qui éprouvera tout ce que peut produire ce moyen si
    foible en apparence (et que beaucoup trouveront puérile) : celui-là
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    est né pour la connoître, qui en entendra bien les causes.