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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/91

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dant ainsi son être à tant de choses qui peuvent l’affecter
péniblement : comment ne sent-on pas que le cœur si
occupé au-dehors trouve en lui un vide indéfinissable,
une foiblesse nécessaire qui produit l’impatience du
moindre mal, l’indifférence pour tout bien, et dès-lors le

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dégoût d’une existence altérée par tant d’extension, et
comme perdue et dissipée dans l’univers ?

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Tout semble commander à l’homme de borner ses
vœux pour rendre leur objet accessible [S 1], de cacher sa
vie pour la conserver libre, et de limiter son être pour le

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posséder tout entier. Telle étoit l’indication de la nature ;
mais égaré accidentellement par les desirs donnés pour le
conduire, l’homme ne s’arrêta plus dans sa déviation ; il
l’aima, il la vanta, il la consacra ; l’orgueil de son être

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dégénéra | en une vanité aussi puérile que fastueuse dans


[JM 1]

  1. Heureux qui préfère les simples besoins et la satisfaction
    paisible sous son toit modeste, aux plaisirs ostensibles, à l’ennui
    intérieur de la majesté des palais et du luxe des villes. Heureux
    celui dont les goûts sont naturels, le cœur simple, les vertus
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    douces et l’ame aimante ; il a le caractère du vrai bonheur ; mais,
    sur cette terre soumise à l’inquiétude sociale, où pourra-t-il vivre
    selon son cœur, selon sa destination ? où trouvera-t-il un asile qui
    suffise à ses enfans et protège la paix de sa vie ? où trouvera-t-il
    une femme qui soutienne ses destins et nourrisse d’un sentiment
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    constant ses heures inaltérables ? où fuira-t-il la satiété du bien
    qui épuise et le desir du mal qui séduit ? où reposera-t-il content
    de ce qui est, de ce qui fut, de ce qui sera, indifférent au-dehors,
    paisible au-dedans, coulant ses jours ignorés et abondans de tous
    biens comme devroient vivre tous les hommes, comme ils le
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    pourroient s’ils le vouloient tous, comme il est donné à si peu
    d’entre eux et de le pouvoir et de le desirer ?

    211. péniblement ! Le cœur – 232-3. lui-même un vide accablant ; il sent que ses moyens sont inférieurs à ses besoins ; et ce sentiment produit l’impatience – 234-6. pour les vrais biens, et – l’univers.

  1. C, XIVe Rêv., p. 93-sq. = l. 237-253. – 238. vœu, afin de les satis-