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NOTES D’UNE FRONDEUSE

rumeurs consolatrices de la bonne nature : le sautillement des bergeronnettes, l’écroulement des roses, l’explosion des bourgeons mûrs, la tombée des rameaux secs, la chute des fruits crevant de sucs, le pas traînant des isolés, le pas ailé des amoureux — et, dans les souples peupliers qui abritent sa tombe, le vent, applaudisseur enthousiaste, battant des branches, ressuscitant l’écho de quelque apothéose lointaine : ouragan de bravos sous le ciel clair, acclamations, cris d’espoir et d’allégresse, tandis que le ciel se pavoise de blanc, de pourpre, d’azur, et que l’étoile d’or se lève à l’horizon…

Pauvre femme ! Mais ce ne fut pas pour le triomphe, ce ne fut pas dans le triomphe, qu’elle aima le plus ni le mieux. Et c’est pourquoi elle m’est sacrée, c’est pourquoi elle m’est chère même, celle que jamais je ne vis, celle que je n’eusse jamais rencontrée, si la mort ne l’avait prise tout à coup et couchée comme un petit enfant, les mains jointes, les paupières closes, être tout d’innocence et de douceur !

Oui, d’innocence ! Cette passionnée garda une ingénuité de cœur, une candeur d’esprit, qui la firent s’étonner douloureusement de tout le mal qu’on lui voulut, de tout le mal qu’on lui fit, sans avoir, à aucune heure, le désir ou la tentation, pas même de la riposte, mais de la défensive.

Elle fut bonne ; elle fut dévouée, elle fut l’Amie, dans la haute et noble acception du terme — comment, sans distinction de parti, ne salueraient-ils pas son cercueil, tous ceux qui ont le respect de la bonté, le fanatisme du dévouement, la religion de l’amour ?

Puis elle fut si malheureuse !…