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NOTES D’UNE FRONDEUSE

ment où l’amant vint rejoindre l’amante ; calculant sa chute pour que la mort l’étendit auprès d’elle, front contre front, cœur contre cœur ! Je m’y suis rendue hier, au sortir de la chambre mortuaire.

Le cimetière d’Ixelles est loin, très loin, au delà d’une zone désolée de terrains à bâtir, où, de distance en distance, se dresse un petit hôtel inhabité, à louer ou à vendre ; de rares usines ; de fréquents estaminets, avec un bout de tonnelle comme nos guinguettes de la plaine Monceau, passé les quartiers neufs. On suit, pour y aller, une partie de la route, la chaussée des Éperons-d’Or — où sont-ils, hélas, les éperons d’or, et la selle houssée de pourpre, et la plume blanche qui frissonnait au vent ?…

Tout le long de la chaussée de Boondael, qui vient après, les enseignes, par une singulière coïncidence, semblent résumer la carrière de celui qui, depuis deux mois et demi, a fatigué, des roues de sa voiture, le sable de cette douloureuse voie. « Au chemin de l’Égalité », dit l’une ; « Au Repos de l’ouvrier », dit l’autre ; et celle-ci très ancienne, sous un tableau naïf où s’ébroue un coursier de légende : « Au Cheval noir ! » — aspirations de la foule, légitimes vœux des travailleurs, origines profondes de ce mouvement que Tunis — semblait porter sur sa croupe, quand, parmi les manteaux rouges des spahis, les clameurs d’espoir, les caresses des mains féminines, il descendait, nimbé par les rayons du couchant, encadré par l’Arc de-Triomphe, l’avenue des Champs-Élysées ! Tout cela, ces inscriptions humbles sur ces cabarets de banlieue ont dû l’évoquer plus d’une fois aux yeux du proscrit, Mais l’a-t-il vu, seulement ?

Quand je me rappelle son regard, à l’église, lors du service funèbre de madame de Bonnemains ; son regard