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NOTES D’UNE FRONDEUSE

rivé sur l cercueil, hypnotisé par lui ; cette absorption de tout son être par la disparue — non, je ne crois pas que, depuis cette minute, il ait contemplé, il ait suivi de la pensée autre chose que le cheveu blond avec lequel elle lui avait lié le cœur, avec lequel elle l’a tiré à elle jusque dans le tombeau !

Je l’ai jugé mort, moi, dès ce jour. J’étais placée derrière lui, tandis qu’on glissait la bière dans le caveau provisoire, à ras du sol. Il faisait bonne contenance, mâchait ses sanglots. Mais la peau de son cou, entre les cheveux et l’habit, là, sur la nuque, tressaillait comme l’épiderme des animaux suppliciés par les taons. On y voyait courir des frissons. C’est que la douleur, de tous ses dards, de tous ses aiguillons, lui transperçait l’âme et la chair !… Ah ! comme il l’aimait !

C’est tout au bout de l’allée principale, à l’angle, à gauche, qu’est la sépulture de madame de Bonnemains — « leur » sépulture aujourd’hui.

Les tombes, ici, ne sont pas strictement comme chez nous, au bord du chemin, mais en recul de l’alignement. Devant chaque, quelle que soit son architecture et son ordonnance, on fait, aux trépassés, l’aumône d’un coin de jardinet ; de la même largeur que le monument et profond d’un demi mètre environ, Comme cela, chacun a, à ses pieds, un peu de franche terre, où éclosent en liberté géraniums et résédas. Une large anthémis — qu’au moment de la floraison les étoiles blanches à cœur d’or, sur le vert sombre des feuilles, doivent transformer en un parterre de firmament — garnit tout le devant de la tombe. Derrière, une sorte de vasque, à mi-hauteur du coffre de granit, ni si bas que le sol, ni si haut que la dalle mortuaire, sert, emplie d’eau, à