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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Quant aux fermes, quant aux églises… elles sont aussi de Nuremberg ! De Nuremberg également, les poules aux pattes lisses, au plumage lustré, qui picorent du bout du bec, l’air comme il faut ; les gorets distingués, dont pas une éclaboussure ne tache la simarre de soie ; et les petites ruminantes au corps havane, aux jambes bistre, couleur de roc et couleur de terre, qui portent leurs cornes rabattues sur les yeux, en frisons, comme leurs homonymes du Bal des Vaches, chez « m’ame Émile » — la belle-mère au président Toutée !

Pour les moutards, ils sont tels, identiquement, que nous les révéla Kate Greenway en ses ravissantes illustrations. Au retour de l’école, ce n’est, sur les routes, que jeunes gens de trois ans, en toque de jockey ou chapeau de castor, la culotte courte mais non serrée au genou, la veste à basques, flirtant avec demoiselles du même âge, en jupe longue, la taille sous les bras, et le museau enfoui au fond d’un immense « cabriolet » à bords ruchés.

Ces gamins, ces gamines sont adorables de santé, de belle humeur, de libre allure. Tout ça galope, s’embrasse, se chamaille, échange des friandises ou des taloches et jabote en bon français !

On dirait un vol de moineaux dans un cimetière de campagne…

À parcourir l’île en tous sens, à battre l’estrade parmi ses grèves, ses champs, ses sous-bois, ses villages, on comprend vite en quelle faveur la tiennent les Anglais, race nomade ; le pourquoi de cette tendresse inattendue d’Albion protestante pour Jersey catholique, de la métropole autoritaire pour cette indépen-