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NOTES D’UNE FRONDEUSE

comptait trahir, l’apéritif de la trahison… Judas s’est peut-être pendu de n’avoir pas trouvé ça !

Et je comprends que, dès cette première étape, l’ère douloureuse a commencé ; je devine quel calice d’amertume a dû vider goutte à goutte, sans arriver jamais à l’épuiser, cet « innocent » de caserne, ce têtu d’illusions. Et je le plains, ah ! oui, je le plains de toute mon âme, d’avoir dû tant connaître l’humanité avant de mourir !

C’est là que fut le vrai châtiment, la réelle expiation ! Pour quelques dévouements sincères qu’il avait méconnus autrefois, en ignorant la valeur, il connut les abandons inqualifiables, les défections éhontées, les « lâchages » impudents tous les corbeaux de la défaite lui rongèrent le flanc !

Je crois que, depuis Napoléon Ier, aucun vaincu ne fut ainsi offert en proie au vainqueur par les créatures qu’il avait faites. Qu’il lui soit donc beaucoup pardonné… parce qu’il a été beaucoup renié !

— L’appartement occupait tout l’étage au-dessus du vôtre, dans le corps de bâtiment sur le devant. Voulez-vous le voir ?

— Bien volontiers.

Nous montons au second. Le palier n’a pas de portes, un immense couloir le prolonge en ligne directe : un couloir formé à gauche par une muraille sans ouvertures, tandis que la paroi opposée est percée de cinq ou six portes parallèles, comme des huis de cellules monastiques, que surmontent, très haut, des impostes vitrées par lesquelles le jour pénètre dans le corridor.

Une à une, l’hôtesse me les énumère :