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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Étant femme, je n’allais point dans la tribune de la Presse, changement de milieu qui me permettait d’habiller à neuf mon esprit : d’échapper au « métier », à ses traditions, à ses habitudes, à ses jugements préconçus, à son parti pris de dénigrement ou de louange, à tout ce qui fait enfin du journaliste chargé « d’éclairer l’opinion » un isolé sourd et aveugle — pas muet, hélas ! — enfermé dans sa profession comme Robinson dans son île, si de temps en temps il ne s’évade point, ne plonge pas en pleine foule, ne va pas, sous d’autres latitudes, chercher de nouveaux horizons.

N’étant pas une officielle, j’ignorais les voluptés mondaines de la tribune présidentielle ; celle où l’on est lorgnée par les sous-préfets en congé ; celle où l’on a l’air d’attendre sous l’horloge l’avènement de la République athénienne préconisée par M. Jules Simon — la République de toutes les grâces et de toutes les élégances !

Je n’ai pas non plus, je l’avoue humblement, connu les joies austères de la loge des questeurs. Je n’ai pas fréquenté les questoresses ; je n’ai pas voisiné avec les vénérables dames qui auraient pu me dire vers quelle époque M. de Mahy eut l’ouïe libre, en quel temps M. Madier de Montjau fut urbain.

Non ; j’ai apporté une espèce de coquetterie bizarre — j’ai comme cela un tas de sentiments cocasses ! — à rester avec le public : le vrai public, le bon public, qu’au Palais-Bourbon on reçoit comme un troupeau de chiens ; qu’on parque dans une niche grande comme la main, avec défense de prendre l’air sur le seuil lorsqu’on étouffe trop dedans ; qu’on musèlerait presque ; et que les élus laissent parfois gémir jusqu’à la fin de la séance, sans répondre à leurs appels désespérés.

Ce public-là a ses revanches, je le sais bien, quand