Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
159
NOTES D’UNE FRONDEUSE

neige précoce de ses cheveux ; la lèvre pétrie de bonté, le parler net, le geste sincère, le regard droit. C’est la propriétaire, madame Vannier. Et elle vous met de suite à l’aise, avec cette grâce sans prétention de mes payses.

Comme tous ceux qui ont approché ce couple aux destins tragiques, madame Vannier en a gardé un souvenir ému. Elle aussi me vante la beauté douloureuse de Marguerite de Bonnemains ; son don de séduction tendre ; cette grâce discrète, voilée de crépuscule et de mélancolie, qui lui liait les cœurs.

Du général, elle ne dit qu’un mot, le même que répètent sans cesse ceux de son intimité, de sa domesticité — cette opinion-là compte, vous savez ! — les fournisseurs, les petites gens de l’entourage : « Il était bon ! »

C’est la brève oraison funèbre des femmes et des humbles, sur la mémoire de celui qui commit et subit tant de discours… des femmes, qui ne font point de politique ; des humbles, que la politique meurtrit toujours, sans les servir jamais !

Elle a sa valeur.

— Là, madame, c’était le cabinet de travail, d’où il expédiait ses circulaires, ses correspondances…

Ah ! bon Dieu, ce qu’il en est parti de bêtises, d’ici ! Ce qu’on lui a fait endosser de gaffes entre ces quatre murs, où pas une fois l’esprit faubourien n’a vibré, sifflé, gémi, crié gare, lancé sa blague, comme une boulette de papier mâché, contre le plafond correct !

Enfin !…

De l’autre côté de la glace sans tain, est le grand salon. Une réminiscence de Trianon, cette vaste pièce ovale, avec ses panneaux en treillis de bois doré sur