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NOTES D’UNE FRONDEUSE

fond de brocard ponceau, et son dôme en miroir, enclos d’une haie de fleurs peintes, dont les branches empiètent et s’échevèlent sur le cristal, comme à la surface d’un lac. Un faisan s’y mire, un singe y gambade ; c’est d’une fantaisie délicieuse, cette trouée vers l’infini du rêve, cette suppression du couvercle de plâtre contre lequel la pensée s’assomme et dont elle ricoche parmi les gravats, front cabossé, ailes meurtries !

Une vérandah règne le long des fenêtres, par les baies de laquelle s’aperçoit la mer bleue.

J’y sors — et demeure stupéfiée, croyant à quelque sortilège, à quelque enchantement…

Des roses ! Des roses ! Et des roses ! Tout le long des piliers supportant le toit, des ceintures de corolles frissonnantes, qui semblent de chair animée ! Tout le long de la balustrade, des draperies de feuillage, piquées à l’infini de calices béants, de cassolettes vivantes, comme pour une éternelle Fête-Dieu !

En dehors, sous la bise, il neige — il neige des pétales, des brassées de pétales blancs ou carminés à peine, qui voltigent de-ci, de-là ; s’engouffrent par rafales dans la maison ; s’agrippent à mes cheveux ; s’accrochent à ma voilette ; se faufilent sous mon boa ; exhalent de tels parfums que je m’en sens pâlir de plaisir.

Et je le comprends, qu’on ne puisse survivre, après avoir aimé ici !

J’ai descendu les degrés qui, de droite et de gauche, mènent au jardin, afin de regarder extérieurement cette merveille, ce coin d’Éden. Entre les branches, au sommet du toit rustique, un écusson de bois peint et sculpté : les armes de la Ville de Paris, le vaisseau mystique qui flotte et ne sombre pas. Et, de chaque