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NOTES D’UNE FRONDEUSE

commissaire lui-même qui prononce la mise à prix, suit l’encan, proclame les surenchères — et, cela, de dix heures et demie à quatre heures et demie, sans interruption !

La formule est singulière : « Personne de mieux que trois francs ? Quatre francs… cinquante ! Cinq francs ! Personne de mieux que cinq francs ?… Sne ?… » Cette bizarre syllabe, ces deux consonnes précédant la voyelle, et dénuées de sens, m’avaient tout d’abord ahurie. Était-ce un terme de patois flamand, une onomatopée professionnelle — ou une particulière infirmité ? On m’a expliqué le rébus. « Sne » est la réduction à sa plus simple expression du mot « Personne », une abréviation vraiment étonnante : « Personne de mieux que six francs… personne ?… Sne ?… »

Tandis que M. Demolle s’époumonne, que l’auditoire fait ses emplettes, une réflexion me parvient, à travers le tumulte : « Si tous ceux qui ont mangé là-dedans venaient pousser à la vente, elle monterait dur ! » C’est un homme de Paris qui a dit cela ; avec un accent d’amère rancœur.

Et c’est aussi l’avis de la petite femme de chambre brune, qui, sa fillette serrée contre elle, regarde avec désolation s’émietter l’intimité où elle vécut quatre ans bien traitée, chez des maîtres affables et affectueux. Elle les a ensevelis tous deux, successivement, Catherine Colleon ; et quand on parle soit de l’un, soit de l’autre, de grosses larmes descendent sur ses joues.

Sa mission de gardienne des scellés est terminée ; elle s’en va, la pauvre créature, chercher un autre sort. Ici, on lui a offert des places, de bonnes places. Mais elle veut quitter le pays où ceux qu’elle aimait sont morts ; et, sans retourner dans l’Isère, son département d’origine, se reperdre dans le tourbillon de Paris. Elle