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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Et ils sont bien perdus, ceux qui, après avoir traversé l’ouragan où faillit sombrer la barque, nient le flot et la nuée, la foudre et le vent ! Un miracle les a sauvés, et ils en attribuent l’effet à leur personnel mérite ; ils ne voient ni les brèches de la cale, ni les trous de la voilure ; ils ne rajouteront pas une bouée, ne remplaceront pas un cordage ! Qui leur parle de danger ? Ne flotte-t-elle pas au haut du grand mât, la fière devise : Fluctuat nec mergitur !

Et ils ne s’aperçoivent point que le grand mât lui-même branle dans le pont craquelé et quelques-uns, sérieusement, avec une jactance inconcevable s’écrient, le poing sur la hanche : « Jamais nous n’avons eu peur ! Jamais nous n’avons été en péril ! »

Pauvres gens !

Mais regardez donc, là-bas, tout à l’extrémité de l’horizon, ce point imperceptible qui grandit en se rapprochant comme le vol d’un oiseau de mer. Il recèle en lui tous les courroux du ciel, toutes les fureurs de la mer : l’assaut des vagues, la mitraille de la grêle, le tonnerre qui assourdit, l’éclair qui tue !

C’est l’armée des nuages qui s’est ralliée au loin et qui s’avance, déployant ses ailes, en bel ordre de bataille, contre votre coquille de noix.

Aux agrès, fol équipage ! Réparez vite les avaries de la dernière tempête, si vous voulez essayer de lutter contre celle qui se prépare — et qui sera bien autrement terrible !

Les ennemis de la République assistent, de la rive, à l’équipée, et se frottent les mains. Ils savent bien que, si les choses durent ainsi, le naufrage est au bout.

Les républicains sans illusions regardent aussi, na- -