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NOTES D’UNE FRONDEUSE

abandonnés ! Que risquait-on ? La République ?… Tant d’ouvriers, dans le chômage, la grève, l’éternelle misère, commençaient à se demander si ce n’était qu’un mot !

Et, sans le peuple, les politiciens bourgeois ne pouvaient rien — beaucoup avaient vu le 2 décembre 1851 !

Les gouvernants descendirent du char de l’État… il est des ruelles si étroites, dans nos faubourgs, que les voitures n’y pénètrent point ! Ils trébuchèrent dans les escaliers noirs ; grimpèrent jusque sous les toits ; posèrent leurs séants culottés de drap fin sur des chaises de paille ; serrèrent des mains dont les durillons égratignaient la peau de leurs gants.

Il fallait sauver la République à tout prix ; ramener le peuple, ce bon peuple égaré ; lui faire comprendre qu’il sacrifiait son bonheur à un caprice, que la « dictature » amènerait pour lui les pires catastrophes.

Évidemment, il avait à se plaindre du régime présent, et tout le monde s’en rendait bien compte. Mais, une fois la lutte finie… il verrait !

Les autres écoutaient, très graves :

— C’est sérieux, ce que vous nous dites là ? On votera les lois ouvrières ? On règlera la question des syndicats ? On réglementera, de façon juste, les rapports entre le Capital et le Travail ? Les vieux ouvriers ne crèveront plus de faim, comme des chiens, au coin des bornes, après trente ans de courageux labeur ? Les veuves et les petits n’iront plus les unes au trottoir, les autres à l’Assistance ? Les pauvres, enfin, seront moins malheureux ?…

— Oui ! oui !! oui !!! On leur fera même des surprises !…

Ah ! la bonne plaisanterie !

Qu’a-t-on promis au populaire ? Tout. Que lui a-t-on