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LETTRE À BOULANGE


Mon général,

Il y a trois jours, ici, le mot de haine a été prononcé, accolé à votre nom. Dans cette maison libre, chacun, éprouvant le sentiment qui lui plaît, le traduit comme il lui convient. Je ne me reconnais pas plus le droit de retoucher la prose de mes collaborateurs, que je ne leur reconnaîtrais le droit de modifier la mienne. Et, puisqu’ils ont exprimé leur opinion, je vais dire ma pensée, sans ambages, tout bêtement.

Je ne vous hais pas. J’ai, envers votre jeune popularité, de l’inquiétude, et un peu de l’angoisse qu’ont les mères vigilantes devant la couvée menacée. J’aime mes pauvres comme d’autres aiment leurs enfants ; ils sont l’âme de mon âme, la chair de ma chair, et (rappelez-vous cette parole) gare à qui les frapperait !

Ils ont, eux, la méfiance du sabre — combien permise ! Il en est du peuple comme du dogue fidèle, mais fier. À force d’être battu, il se rebiffe, s’arc-boute sur ses pattes, grogne… et montre les dents,