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BOULE-DE-SUIF


Vous souvient-il de l’admirable nouvelle qui porte ce titre, dans les Soirées de Médan ; du conte sans rival par lequel Maupassant, très jeune, connu seulement d’un petit nombre d’initiés, s’affirma comme l’un des chefs, l’un des maîtres de la langue française ?

Dans la voiture qui mène de Rouen au Havre, pendant l’occupation allemande, quelques notables désireux de fuir le danger — échantillons de tous les mondes : hobereau authentique, grand industriel, marchand de vins en gros ; plus un orateur de réunions publiques, et deux religieuses, — est une fille galante très réputée en ville, très appréciée des connaisseurs, si dodue qu’elle doit à son embonpoint son surnom : Boule-de-Suif.

On lui fait grise mine, en dépit de sa réserve. Les sœurs baissent obstinément les paupières, devant le regard de ses yeux hardis ; les hommes, tenus en respect par leurs légitimes, se détournent avec affectation ; les femmes se rencoignent, hostiles, prêtes à l’at-