Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
NOTES D’UNE FRONDEUSE

tint pas au doux rongeur ; dans les eaux troubles de la politique, elle pêcha de bien plus vilains rapprochements — jamais homme ne fut, à ce point, vilipendé, chansonné, caricaturé.

Il n’en demanda pas raison, non qu’il ne fût brave, mais parce que le mot de la situation était le même qu’à Waterloo : « Ils sont trop ! » Je le lui entendis crier un jour, au café de la Paix ; les poings dans ses cheveux ; enfoui sous l’amoncellement des feuilles satiriques hebdomadaires, qui, toutes, s’occupaient de lui avec une égale bienveillance.

Il était sacré homme à femmes : Don Juan, Lovelace — mais un Lovelace économe, plutôt rapiat, entendant être aimé pour lui-même. De là à conclure, pour les adversaires, qu’il touchait les frais du culte, il n’y avait qu’un saut, vite franchi.

Dans l’Olympe boulangiste, il avait son bout de rôle, sa place à part. Il ne prenait point rang parmi les porteurs de tonnerre, les licteurs du Mars à barbe blonde, les compagnons de Vulcain, les thuriféraires de Momus…

Non. Un doigt sur la bouche, la frimousse polissonne, l’astre au vent, il était le petit chose-nu d’amour qui figure dans les vieilles estampes, le petit coquin bon à fêter, bon à fesser, relevant une draperie derrière laquelle se devine autre chose que le comité de la rue de Séze.

Quand on disait son nom, les femmes regardaient le fond de leur assiette, pensives, une légère flambée aux joues ; les hommes lançaient quelques phrases désagréables — ce qui est l’indice sûr des succès masculins. On lui prêtait des aventures extraordinaires, avec des Américaines qui voulaient l’épouser ; et des régulières le plaignaient d’avoir « si mal placé ses sentiments ».