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NOTES D’UNE FRONDEUSE

si puritaines, si insoupçonnables, que le public s’acharne à savoir le fin mot de ces rances vertus.

Il n’en démordra pas… quoi qu’on fasse ! Ni nous non plus, les journalistes, les pelés, les tondus, d’où vient toujours tout le mal. On a volé l’un, on a injurié les autres ; et voilà qu’ils font boule, se hérissent, marchent contre l’ennemi commun.

Les responsabilités seront établies, TOUTES — qu’on se le dise ! Il ne s’agit plus de proclamer : « La presse est vendue », parce que quelques directeurs de journaux se seront fait payer leur publicité aussi cher par M. de Lesseps que par M. Géraudel ; et autant pour vanter les bienfaits d’un isthme que pour célébrer les charmes d’un purgatif.

Ceux-là sont des négociants. Les militants sont aussi rares, dans ce conseil de prud’hommes, qu’ils sont nombreux parmi les simples scribes : braves gens vivant du quotidien labeur ; qu’indigne toute calomnie englobant la corporation entière ; et qui feront payer cher leur manœuvre, à ceux qui ont cru apaiser la foule en lui jetant à ronger un porte-plume, comme os à un dogue dont on trompe la faim !

Ah ! les actionnaires étaient des imbéciles, et les journalistes des bandits ! Hé ! bien, mais — et aujourd’hui ? Voyez donc ce qu’elle a fait, cette opinion publique tant dédaignée, qui émane des uns et que traduisent les autres ? Comptez les ministres qu’elle a jetés bas, et ceux qu’elle passera en couverte, parmi les huées de la chambrée, avant qu’il soit longtemps ! Elle a décloué des cercueils ; arraché des masques ; poussé débraillés, sous la risée, les plus boutonnés dans leur renom, les plus drapés dans leur respectabilité ! Indulgente aux Athéniens (bons garçons à la ceinture lâche, qui, ne trompant personne, affichent leurs