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NOTES D’UNE FRONDEUSE

davantage — je n’avais apporté ni galette, ni pot à beurre.

Les usages varient suivant les maisons.

Et tandis qu’attentif, puisque je parlais de la liberté ; bienveillant, car il était mon hôte ; presque souriant, parce que, rassurée, je bavardais en toute indépendance, et comme mots et comme idées ; tandis qu’il écoutait, par instinct professionnel je regardais autour de moi.

C’était la demeure du juste, c’était la demeure du sage ; toute petite, sans ombre de luxe, peuplée de souvenirs : Gambetta ici et Gambetta là ; de profil, de face ; esquissé sur la toile, gravé dans le bronze — et le moulage du mort dominant, par sa sérénité souveraine, toutes les expressions du vivant !

Moi qui ai le culte d’un autre mort, moins illustre, et qui ai fait de mon chez moi son chez lui, je contemplais ces choses, émue jusqu’aux fibres… si émue, ma foi, qu’au beau milieu d’une phrase, je m’arrêtai net.

Il suivit la direction de mes yeux, comprit, se leva ; et revenant à moi, la relique haute dans les mains, comme les prêtres portent l’ostensoir, il eut un mot simple, un mot de brave homme, plus poignant que toutes les rhétoriques du monde :

— Je l’aimais bien, dit-il.

Son menton tremblait ; et il resta longtemps, très longtemps à rattacher le masque au mur, me tournant le dos, tandis qu’un tressaillement de peine faisait bouger le col de son veston.

Et je le compris soudain, ce sectaire avec lequel on s’est souvent chamaillé ; avec lequel on se chamaillera encore, c’est sûr… mais dont la sincérité, la probité sont et demeurent au-dessus de tout soupçon.