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NOTES D’UNE FRONDEUSE

garçon inférieur à ses destinées ; qui pensa les dominer, et fut porté par elles comme bouchon sur l’Océan. Il ne fut l’homme que, dès le début, il eût dû être, que vers le déclin ; je ne dirai pas tout espoir perdu, mais toute illusion envolée. La douleur, soudain, avait mûri ce fruit obstinément vert ; il voyait très net, dans l’avenir, les revanches prochaines que le sort lui réservait — ce qui se passe aujourd’hui, entre autres.

Mais, à son deuil s’ajoutait si immense lassitude, soit de ses amis soit de ses ennemis, qu’il préféra se réfugier contre le seul cœur qui lui eût été divinement sincère ; et s’endormir, comme un petit enfant, dans le giron d’une femme.

On l’en loua, on l’en blâma… je ne retins, de son suicide, qu’une chose : c’est qu’il fallait qu’un chef de parti eût rudement souffert pour (ayant au lendemain une foi invulnérable !) abdiquer ainsi, parmi les roses mortuaires très doucement découronnées.

Oui, il avait souffert ! J’ai vu saigner ses yeux ; car, sur le larmier meurtri, les larmes paraissaient rouges, avant que de glisser, éteintes, dans la barbe cendrée par le souci.

Rien ne désarma l’adversaire : ni l’exil, ni l’abandon, ni la mort ! On lui fut implacable, on lui fut féroce — bien après que les dernières pelletées de terre étaient tombées sur le corps, les injures, suivant leurs cours habituel, visaient encore la mémoire ! Qui eut pitié ? Personne. Nul ne fut généreux ; n’eut la victoire clémente, le triomphe indulgent.

Hélas, monsieur, vous en souvient-il ? Vous étiez Brutus, et vous étiez Caton ; un peu Cicéron, par les Petites Catilinaires, et un peu Sylla, par la fureur de proscription. Toute l’antiquité stoïque logeait en votre sein, sans faiblesse, sans défaillance… sans miséricorde !