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NOTES D’UNE FRONDEUSE

terpellèrent, avec des regards navrés ; me montrant leurs poignets qui auraient pu être chargés de chaînes ; déjà un peu Latude, avant même que d’avoir connu la Bastille ! On appréciait enfin ma spécialité d’évasions !

Plus simple, vous ne clamâtes pas : « On assassine nos frères ! » mais vous me dites, mezzo-voce : « Séverine, c’est l’heure du dîner ! » Je compris et me précipitai chez un charcutier… j’ai l’habitude des émeutes. Par une délicate allusion à l’un de vos arguments de polémique les plus habituels, je fis, dans un saucisson ceinturé d’argent, piquer un œillet rouge, et me lançai à votre poursuite.

Dois-je l’avouer, cependant, j’étais plutôt goguenarde ; les agents vous traitant trop en messieurs qui seriez peut-être les maîtres, le lendemain. Ils tapent plus dru et serrent plus fort, dans les manifestations de pauvres bougres !

Au poste du Palais de l’Industrie, on ne vous avait même point vus.

— Nous n’avons ici que des gens tranquilles, me répondit le sergot de garde, des vagabonds !

Alors, je filai au commissariat, rue d’Astorg. Des députés sous clef, de quelque clan que ce fût, bonne affaire ! C’était toujours un exemple, une mise en train, un petit commencement ; ça éduquait le populo ! Mais, d’autre part, je ne pouvais oublier votre invocation ; cet appel d’un estomac captif… et dénué !

Quand j’arrivai, on vous avait déjà relâchés. Peut-être cette même phrase, dite avec le même accent, avait-elle suffi à convaincre le magistrat, de façon bien plus prompte, bien plus péremptoire, que toutes les arguties de vos codétenus.

Je donnai mon saucisson à un révisionniste sans fortune, qui s’obstinait à vous attendre en bas ; presque