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NOTES D’UNE FRONDEUSE

vous prend-il si tard ; et combien de belles occasions avez-vous perdu d’en faire montre !

Le respect des trépassés ? Rien de mieux ! Mais il est un échange ; et de quel droit le réclamez-vous pour les vôtres, ô bourgeois qui avez craché sur tous les cercueils d’adversaires ?

Les respectait-on, je ne dirais même pas les cadavres de communards, de militants, mais d’habitants du quartier, hommes et femmes, arrêtés par mégarde, fusillés par erreur… et sur lesquels les soldats se soulageaient publiquement, sous l’œil bienveillant des chefs, boulevard de Vaugirard, en face de l’usine Thomasset, dite alors, et depuis, « l’Abattoir » ?

Les respectait-on, dans vos journaux, les proscrits qui, après avoir tenu entre leurs mains la fortune du pays, la Banque et les banques, expiraient indigents, dénués de tout, dans les brouillards de Londres ou les buées de Bruxelles ? On les injuriait ; on les traitait de charognes ; on émettait le regret de ne les pouvoir jeter à l’égout !

Les respectait-on ceux qui moururent de l’exil, en retrouvant le sol de la patrie ?

Respecta-t-on Vallès, au convoi duquel les étudiants opportunistes d’alors tentèrent d’arracher la couronne des socialistes allemands — protestataires contre la guerre et l’annexion, pourtant ! — tandis que les étudiants opportunistes d’aujourd’hui s’en vont faire cortège au récipiendaire d’Alphonse XII, colonel de uhlans ?

Respecta-t-on le pauvre corbillard d’Arnaud, ex-délégué aux Finances, qui, pour vivre, en arrivant là-bas, dut, de ses doigts qui avaient manié des millions, éplucher, couper, et faire frire des pommes de terre sur le pont de Waterloo ? Oui ; la police chargea, taillada, à coups de sabre, le drap mortuaire et les humbles bou-