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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Tout se concilie, tout s’arrange. Et cette jolie ville de Marseille, qui a le bonnet près de la tête, mais la tête pas loin du cœur, la voici qui fait de ses hostilités des enthousiasmes ; de ses grognements des acclamations. Comme sous la baguette d’un magicien propice, il naît, des trognons de choux, des roses… et le nombril des pommes s’épanouit en splendeur de pivoines. Hourrah ! Vivat ! Saisie d’une frénésie de revirement, Marseille n’a plus ni assez de palmes, ni assez de couronnes, pour fêter son hôte d’un jour.

Lui, cependant, demeure pensif. La griserie du triomphe n’efface pas, en sa nature réfléchie, l’étonnement douloureux où le plongea l’antérieure déception. Pour la première fois, il se tâte, s’interroge, fait son examen de conscience, se demande :

— Que leur ai-je donc fait ?

Rien, soldat heureux ; que de vaincre ! C’est là grief impardonnable, inexcusable forfait ! Car, en vertu d’un raisonnement que j’ignore, quiconque dompta Behanzin doit saper M. Carnot. Sans doute l’habitude de travailler dans le noir…

Et le calvaire commence pour ce trop glorieux. Oh ! un calvaire doux, sans crucifiement, ni sévices ! On ne le couronne pas d’épines ; on se contente de les lui piquer sournoisement dans la peau, une à une, au hasard de l’inspiration — ou de la frousse !

Plus le train qui l’amène se rapproche de Paris, plus la malveillance se manifeste ; revêt une forme agressive. Pas un blâme ne peut lui être adressé : il a été la correction même ; s’est effacé devant les pouvoirs civils ; a voyagé seulement avec sa femme ; n’a traîné à sa suite ni thuriféraires, ni clients.