Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
308
NOTES D’UNE FRONDEUSE

N’importe ! Il est suspect… puisqu’il est victorieux ! Courbet le fut, Négrier aussi ; moins, parce qu’on n’avait pas encore reçu le premier avertissement. Mais est-on donc si déshabitué de la victoire, en France ; en a-t-on si complètement perdu le goût et l’usage, qu’on ne l’apprécie plus pour elle-même ; qu’on la suppose simple paravent, cache-intrigues et cache-menaces ?

Vrai, cela n’est ni honorable, ni joli !

Et ce qui suit l’est encore bien moins. Parce que, contrairement à ses mauvais pasteurs, la bonne foule, affamée d’héroïsme, assoiffée de tendresse, le cœur vide et le sang chaud, s’est précipitée au-devant du vainqueur, celui-ci a été reçu (sauf respect) à peu près comme un chien dans un jeu de quilles.

Que s’avisait-il aussi, venant de Marseille, d’arriver par la gare de Lyon ? C’était d’un goût déplorable ; et bien propre à rappeler des désordres dont la seule évocation fait frémir. N’était-ce pas de ce même hall, sur cette même ligne, traîné peut-être par la même locomotive, que… Chut ! n’évoquons pas les spectres !

Cependant, eux, sans prononcer le nom, ils ressuscitent la mémoire — pour en accabler ce discipliné à qui nulle faute, même légère, ne saurait être imputée ; ce régulier qui, dans son attitude, dans ses brèves paroles, dans le cri même par lequel il répond aux bravos, semble l’incarnation de la légalité.

De quelque injustice qu’il ait à souffrir, on ne lui tire pas un reproche, pas un mot de révolte, pas une exclamation de dépit ! Et je jurerais que, jusqu’ici, aucune autre pensée que celle du devoir n’a traversé son rêve.

Or, on l’avertit (de très haut) qu’on n’est pas sa dupe ; qu’on a l’œil sur lui ; qu’il serait malvenu à reprendre la légende interrompue… que Mazas a encore des cellules et Vincennes des fossés.