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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Et, ainsi abreuvé d’outrages, atteint jusqu’en ses fibres les plus secrètes par ce débordement de haines, d’injures, de soupçons, Dodds, meurtri, navré, se consulte à nouveau, cherche son crime :

— Que leur ai-je donc fait ?

Rien, toujours rien… que la même chose ! Vous êtes, pauvre soldat naïf, l’ennemi ; bien plus que le féroce macaque dont vous avez eu raison ! Vous pourriez être, pensent-ils, celui qu’on sent venir ; dont on entend, à la cantonade, cliqueter le sabre et bruire les éperons ; celui que Vallès annonçait, dans le Cri du Peuple, en 1883 ; celui dont je ne souhaite pas la venue — ah ! Dieu non ! — mais qui viendra quand même ; amené par eux !

Car ces maladroits ne se contentent pas de créer, escouade par escouade, l’armée des mécontents ; de lui procurer des recrues ; d’augmenter, par chaque gaffe, chaque sottise, son formidable contingent. Des troupes sans chef ? Fi donc ! Le suicide ne serait pas complet.

Et ils le préparent aussi, le chef ; ils l’élèvent à la brochette, ils l’entraînent… par le dégoût, l’indignation, le mépris ! D’un pur et probe officier, hors toute ambition répréhensible, ils arriveraient à faire un factieux. L’idée qu’il n’avait pas, ils la lui donnent ; l’y accoutument, par l’obsession dont ils sont possédés ; l’y enhardissent, par l’aveu de leur effroi, donc, de leur faiblesse.

Et, première étape, devant leur affolement, l’insoucieux d’hier peut en arriver à se dire :

— Mais c’est donc si facile ?

Du doute à l’acte, le pas est vite franchi. Peut-être