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NOTES D’UNE FRONDEUSE

plus encore, aux tendres repentirs envers les trop longtemps spoliés !

Non. Hébétés, effarés des scandales, des vols, des concussions dont, chaque jour, la liste s’allonge, ils pensent seulement à maudire qui les révéla ; non qui les commit ! Puis, sentant que tout craque ; que la nue se fend sur leur front et le sol sous leurs pas ; que leur pouvoir chancelle, que leur règne vacille ; que « les temps sont venus » — enfin ! — ils se posent mutuellement cette devinette : « Mais qui nous remplacera ? »

Ils comptent sur leurs doigts, supputent, estiment la chance de celui-ci, la valeur de celui-là ; et comme ils ne trouvent personne, se rasseoient bien contents, dans leurs chaises curules ( percées, hélas !), parmi les convulsions de la terre et l’écroulement des cieux !

Ils sont joyeux, tout pleins joyeux, nos Caton de boutique… Catilina est mort ; nul des prétendants avoués ne suffirait à la tâche ; les mécontents demeurent sans boussole, sans guide, sans drapeau.

Quel que soit l’apparent bouleversement, on peut dormir tranquille. On est exécré, mais personne n’est aimé ; on est hué, mais personne n’est applaudi ; on est menacé, mais personne ne surgit pour l’héritage — personne, personne !

Oui-dà, bonnes âmes ? Et Monsieur Demain ?

Quoi ! parce qu’un pauvre homme à l’âme faible gît en terre belge ; parce que Philippe, Victor, Jaime, ne semblent pas de taille à tenter l’aventure, vous croyez tout fini, et votre présomption se proclame inviolable ? C’est au moment précis où le danger se dessine (plus farouche qu’il ne fut jamais) que vous déclarez avoir cause entendue, partie gagnée ?