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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Vous n’y faillirez pas. Je me rappelle le jour où je vous vis pour la première fois, à la gare de Lyon, le 23 mars de cette année.

Vous arriviez de Clermont ; le général venait d’être révoqué et allait comparaître devant le conseil d’enquête. Vous étiez presque des proscrits… c’est pourquoi j’étais à.

Et, de loin, ne vous connaissant pas, intéressée seulement par l’acharnement que les gouvernants mettaient à vous poursuivre, je vous vis, tous deux, descendre de wagon. Il y avait cohue : on vous pressait, on vous étouffait. À une minute, je me rapprochai, et me trouvai en face de vous.

C’est de cette minute-là, petite Marcelle, que date mon affection lointaine, un peu de cette affection tendre qu’ont les aînées.

Au bras de votre père, vous sembliez si mignonne, si délicate, dans cette enthousiaste mais brutale escorte, qu’on tremblait à l’idée d’un choc, d’une poussée qui vous eût broyée… Et cependant, avec vos cheveux d’ambre, vos prunelles pâles, votre teint de lis, toute votre fragilité de blonde, vous aviez l’air courageux, gai et résolu.

Explique cela qui pourra ; on eût dit une petite sainte de vitrail, échappée d’une cathédrale, et marchant, non sans crânerie, en pleine émeute, son nimbe en bataille, vers un but inconnu.

Il semblait aussi que votre père, au lieu de passer par Nevers, avait passé par Orléans, et ramené cette autre blonde, fine, fière, héroïque, qui s’appela Jeanne, et aima, autant qu’il peut l’aimer, le « doulx pays de France ».