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NOTES D’UNE FRONDEUSE

cycle, que je prends une joie intense à faire avec eux un bout de causette sur les affaires du jour.

Ils y apportent moins d’emballement que moi, une philosophie plus douce, an scepticisme de blasés. Depuis le temps qu’ils sont là, ils ont vu défiler un tel stock de présidents, de ministres, une telle flopée de « mandataires du peuple » ; ils ont contemplé de si bizarres spectacles, assisté à tant de revirements, constaté tant de trahisons, entendu tinter tant d’écus, au marché des consciences, que rien ne les étonne, que rien ne les émeut.

Dans leur a-parte, ils se rendent très bien compte que le maître est absent ; qu’il n’y a là, pour faire ripaille, que le haut personnel de l’office : larbins et intendants infidèles s’en fourrant (bis) jusque-là, tandis que le patron est loin.

Et ces garçons — de pauvres serviteurs mal payés, et faisant consciencieusement leur besogne, eux ! — tapent sur le ventre aux cochers du char de l’État, avec une bonhomie qui fait honneur à l’indulgence de leur honnêteté.

Comme m’a dit l’un, un jour, au moment des grands scandales d’il y a un an, alors que l’on découvrait des chopines dans tant de pupitres.

— Oh ! être employé ici ou à Bercy… Au moins, là-bas, on dégusterait !

Ce mot me revient, devant l’hémicycle entrevu par la baie de la porte.

Personne n’a jamais remarqué la couleur malheureuse des gradins, ce rose violacé qui soûle la vue jusqu’à éblouissement.