Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On croirait pénétrer dans une tonne immense ; dans le fond d’un foudre géant où, tout le liquide bu ou mis en pot, il n’est resté que la lie — une belle couche de lie à emplir d’aise l’âme des Coupeau de opportunisme.

Mais ceux qui, possesseurs des vignes, n’ont pas goûté à la cuvée, sont d’avis qu’il faut nettoyer le pressoir pour les vendanges prochaines ; et embaucher des vignerons honnêtes qui, avant de se mettre à la besogne, chasseront les ivrognes voleurs à coups d’échalas.

C’est une rude tâche. Et il me semble difficile qu’elle s’accomplisse là !

Car ça pue le vieux, ici, comme dans les caves où l’odeur du moisi se mêle à l’odeur du vin ! Rien n’y est moderne, rien n’y est vivant,

La tribune — cette fameuse tribune française sur laquelle le poing de nos orateurs donnait le la au « concert européen », — cette tribune est singulièrement toc !

Le pan de devant, en bois sombre, est agrémenté de bas-reliefs blancs — deux bonnes femmes, en peplum, qui lisent ou flûtent de je ne sais quoi. Littéralement, l’aspect de ces carrés de pain d’épice, avec appliques en sucre coulé, qui émerveillent bonnes d’enfants et militaires à la foire du Trône.

En haut, dans les niches, deux autres personnes, également de mon sexe, offrent aux regards des élus des charmes en stéarine, pudiques, quoique nus, car jamais le désir ne s’y posa. Je connais, au monde, peu de statues aussi godiches de construction et d’allure, que ces deux empesées-là ! Celle de gauche représente la Force ; celle de droite représente la Loi. Ce n’est pas écrit dessous ; toutefois, les attributs permettent de deviner.