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NOTES D’UNE FRONDEUSE

que la République persiste à ne pas mettre dehors.

Mais voilà qu’on arrache ce suaire, que ceux pour lesquels et à la place desquels cet homme succomba affichent la prétention de se faire un drapeau de son linceul.

Halte-là !

Celui-ci n’est pas leur héros — il est leur victime. Ce sont les parlementaires, qui sont les véritables assassins de Baudin !

Une chose m’a toujours frappée, dans l’historique de ce trépas.

Les soldats marchaient contre la barricade, écartant du geste les représentants qui les exhortaient. Soudain, le premier coup de feu éclate, partant du groupe où se trouve Baudin, et abattant un malheureux petit conscrit, qui tombe raide mort. La troupe répond par une décharge générale ; et cette réponse des fusils étend sur le pavé le député de l’Ain, innocent de la provocation et, cependant, la payant de sa vie.

Ce récit m’a semblé, de longue date, non pas seulement le compte rendu des faits matériels, mais aussi la légende d’une action invisible qui avait pour théâtre l’âme du pays ; la représentation palpable d’une série d’événements moraux… ce que j’appellerai la genèse du coup d’État.

Ce n’est pas le plomb anonyme qui est venu frapper Baudin ; ce n’est pas le soldat ignorant qui a tiré parce qu’il en a reçu l’ordre, sans savoir au juste sur quoi ni pourquoi il tirait ; ce n’est pas l’officier qui a obéi à sa consigne ; ce ne sont même pas — méditez bien ceci — ceux qui la lui avaient donnée ; ce ne sont pas ceux-là qui ont tué Baudin !