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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Ils ont été les instruments dociles d’une destinée dont d’autres avaient, à leur propre insu, tracé le plan.

Ce qui a tué Baudin, ce qui a permis l’Empire, c’est l’indifférence du peuple, c’est la neutralité des faubourgs, c’est l’impopularité de l’Assemblée !

À qui la faute ?

Pas à Baudin, qui l’a expiée pourtant. Il n’était pas de la Constituante, a paru fort peu à la Législative, n’a point siégé, en tout, plus de deux ans !

La faute est à ceux qui, républicains, avaient inspiré à la nation la haine de la République, dont le règne avait tué le commerce, anéanti l’industrie, supprimé le travail — si bien que leur clientèle politique, prise entre la faim et la révolte, en était réduite à crier : « Du pain ou du plomb !… Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! »

La faute est à ceux qui, nés de l’insurrection et l’ayant proclamée « le plus sacré des devoirs », se montrèrent implacables contre elle plus que ne le fut jamais roi de droit divin ; qui prêchèrent le carnage, allèrent flairer dans les rues, après le passage des soldats, les cadavres encore chauds dont, la veille, ils pressaient la main, qui se manifestèrent, dans le triomphe, féroces comme des proconsuls romains, ces proscripteurs à lunettes, ces Syllas cravatés à la Guizot !

La faute est à ceux qui n’eurent pas un geste de pitié, pas une parole de miséricorde pour des vaincus que tous les partis avaient le droit d’accabler — sauf celui de l’émeute !

Que voulez-vous ? Une fois au pinacle, ils avaient — comme ils l’ont aujourd’hui — l’aversion et la crainte