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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Et vous allez être la victime expiatoire de leurs iniquités ! Avez-vous réfléchi à ceci : que, par le seul fait d’un concentration s’opérant sur votre personne, vous endossez, auprès du pays, la responsabilité de tout ce qu’ont commis vos parrains ? Si Ferry vous recommande, vous devenez solidaire du Tonkin ; si Floquet vous appuie, tout ce que le Panama a ruiné de pauvre monde vous montre le poing.

On va tirer les Rois dans quelques jours. Eh bien ! ce qui vous est offert c’est d’être la fève, dans la formidable brioche de leur impopularité.

Et rien ne prouve que Paris y mordra — il a assez faim, depuis quelque temps, pour préférer à la brioche un gros pain de munition !

C’est parce qu’on n’a pas taillé à même la miche, c’est parce qu’on ne lui a pas donné le pain quotidien auquel il a droit, que le peuple acclame Boulanger et hue les accapareurs.

Je ne vous vois pas, avec votre brave visage et votre parole loyale, devenu le mandataire de ces derniers.

Vous serez, certes, toujours honnête — le paraîtrez-vous toujours ? L’ère du soupçon est ouverte, et nul publicain, désormais, n’est à l’abri.

Ce que votre probité en souffrira, vous le savez mieux que moi-même. Mais vous ne savez pas peut-être le rude assaut, l’effroyable torture, qu’elle aura à subir tant que durera la lutte ?

Ce sera bien la peine, vraiment, d’avoir acquis, à force de travail, une fortune nette, une aisance poussée sans le fumier du vol, sans l’engrais de la concussion !

Ce sera la peine d’avoir refusé les bons postes, les grasses prébendes, restant obstinément un journaliste,