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NOTES D’UNE FRONDEUSE

y verra des gabelous ; des gardiens de squares et des gardiens de monuments ; quiconque, en France, possède une parcelle d’autorité, détient un atome de pouvoir ; quiconque a le droit d’être dur à ses subalternes ou sévère au pauvre monde.

Et seront admis seulement les officiels : choisis, triés, bon teint, ayant montré patte tricolore, et reconnus dignes de figurer entre ces messieurs du Barreau et ces messieurs du Sénat,

Ô ironie de la destinée ! Ce Gambetta, ce réfractaire à tous crins, demeuré bohème dans le fauteuil auguste de la Présidence, resté fantaisiste — et ce ne fut pas la moindre de ses séductions ! — jusqu’en les apothéoses les plus solennelles, ce Méridional gai, bon enfant, vibrant et vivant, va avoir des funérailles de régulier !

Ceux qui lui feront la dernière conduite auront chacun un diplôme en poche ; une écharpe à se nouer sur le ventre ; un ordre français ou étranger à la boutonnière ; un grade dans une confrérie quelconque. Tous les annuaires de France, civils ou militaires, vont défiler là : en corps, en groupes, en sociétés, en délégations, en comités ; étiquetés, classés ; dans le rang, et à la place que leur auront assignée les organisateurs.

On vend déjà, parmi la foule indifférente qui rit au soleil, sur les deux trottoirs, « l’ordre et la marche » du cortège !

Il y aura quelques indépendants d’aspect, pourtant. On les reconnaîtra à leur tignasse secouée de mistral, à leurs gestes éperdus, à la vibration des consonnes… roulant sur leurs crocs de jeunes chiens comme le courant des gaves sur les cailloux blancs. Ce sont les tambourinaires qu’on appelait pour manger la brandade, en bras de chemise, au soir des séances orageuses.

Les bons gas auront de la peine — une peine qui