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NOTES D’UNE FRONDEUSE

s’évaporera, sous ce beau ciel, en interjections, en reproches au destin, en un remuement furieux de la tête et du torse, des bras et des épaules, des jambes et des cannes ! Mais on aura bien trouvé moyen de les astreindre à marcher ensemble, par lot d’accents — ils représenteront le Midi !

Le convoi vient de passer et je reste à la même place, silencieuse et immobile, tandis que les prolonges d’artillerie qui ferment l’escorte sursautent sur le pavé avec un bruît de ferrailles qui vous secoue le cœur.

Jamais, depuis le siège, on n’avait réentendu ce bruit-là ; jamais on n’avait revu tant de canons ; jamais le sanglot des tambours, voilés de crêpe, n’avait roulé si lamentablement !

L’enterrement politique a bien été ce que je prévoyais : banal à faire bâiller ! Mais la politique n’a pas longtemps tenu la scène ; et, quand elle a eu défilé, quand tout le stock des gouvernants a été épuisé, il y a eu une belle minute émouvante où l’on a senti frémir, au-dessus du char, l’ombre de la Patrie.

Oui, une minute, les discordes civiles se sont noyées dans le souvenir des heures tragiques ; et les sang-bleu comme les sang-rouge ont revécu 70 et 71, la défaite, l’investissement…

Il n’a plus été question alors du Président de la Chambre, du politicien qui avait donné le signal de toutes les persécutions religieuses ou socialistes ! Et les fronts se sont inclinés, mélancoliques, devant l’Outrancier qui s’en allait à la paix suprême, dans le frisson des drapeaux, dans la tempête des cuivres, dans l’attirail héroïque des obsèques guerrières…

C’est que, derrière les officiels, avec leur autorisation,