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NOTES D’UNE FRONDEUSE

sous leur patronage, mais avec une belle flamme de jeunesse aux yeux et, dans la voix, cette sincérité d’acclamation qu’ont les foules adolescentes, venaient les bataillons de gymnastes.

Ils étaient singulièrement accoutrés pour la plupart, en bleu, en vert, en rouge, en violet — un tantinet chiens de cirque !

Seulement, ils criaient : « Vive la France ! » de si candide ardeur que le peuple, en les voyant passer, se rappelait qu’ils étaient aussi singulièrement affublés, les francs-tireurs du siège, que l’on ramenait, aux soirs de Champigny et de Buzenval, le crâne fendu ou le flanc béant, et qui mouraient comme des héros, dans leurs habits de cabotins !

Oui, de leur enthousiasme, à ces petits, l’on oubliait les ceintures voyantes, les panaches ébouriffants, les médailles de fabricants de moutarde, toute cette quincaillerie et cette friperie de la gloire dont s’agrémentent les gamins qui rêvent d’être soldats.

C’étaient eux qui avaient ainsi transformé la cérémonie, changé l’esprit de la multitude, qui, gouailleuse quelques minutes plus tôt, suivait leur marche, maintenant, d’un bon regard ému.

— Qu’est-ce, monsieur, que ces garçons-là ? fis-je à mon voisin.

— Ça, madame, c’est la Ligue des Patriotes… Le gouvernement l’aime bien !

1er juin 1885.

Sur le boulevard Saint-Michel, à l’intersection de la rue de Médicis, devant le bassin qui orne l’im-