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NOTES D’UNE FRONDEUSE

mense refuge, s’élève une statue de Hugo, dont le socle disparaît sous les fleurs.

Du reste, il y a des fleurs partout : aux corsages, aux fenêtres, aux tentures qui garnissent l’appui des balcons. Des guirlandes de feuillage courent entre les mâts, dont les oriflammes se secouent, joyeuses, dans le vent d’été.

Paris, d’un bout à l’autre, a des allures de Fête-Dieu.

C’est cependant une fête bien païenne que celle qui se célèbre aujourd’hui ; presque mythologique : l’enterrement d’Homère, l’apothéose du poète dont la vieillesse n’a été que l’acheminement à l’immortalité.

Tout l’Olympe officiel, tout le Parnasse gouvernemental est en rumeur. Quiconque a, s.g.d.g., tenu une plume, rédigé des stances, pondu une cantate ; quiconque a pincé la lyre de Tyrtée ou gratté la guitare de Gastibelza ; quiconque a creusé l’antique ou taquiné le gothique ; tous les gradés et groupés de l’art béni par la rue de Valois, ont leur place marquée dans le cortège.

La Mort, sinistre courtière, étale cette fois, sur la table de l’univers, une autre carte d’échantillons. Il y a deux ans, c’était le monde de la politique, qu’elle déroulait majestueusement ; aujourd’hui, c’est le monde de la littérature, qu’elle exhibe d’un geste charmeur.

On va voir les Académies, la Société des gens de lettres, et l’École normale ; plus, les théâtres subventionnés, et une foule d’agglomérations intellectuelles encouragées par l’État.

C’est lui, d’ailleurs, qui se charge de ces funérailles grandioses ; ce qui lui permet d’en être le maître des