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NOTES D’UNE FRONDEUSE

la saisie de papiers opérée à mon domicile. Je suis peu au courant des usages du lieu où nous sommes, j’ai siégé autre part, mais je n’ai pas encore eu l’honneur de m’asseoir sur ces bancs. Cependant, je dois le dire, j’ai eu souvent occasion, dans le cours de ma vie politique, de faire les actes de citoyen qui m’amènent aujourd’hui devant le tribunal correctionnel.

» Je ne puis m’empêcher de faire une réflexion : c’est que, sous tous les gouvernements qui se sont succédé, sous des régimes même dont, à coup sûr, je n’étais pas l’ami, une avanie semblable à celle dont j’ai été la victime m’avait toujours été épargnée. Je n’avais pourtant pas alors derrière moi vingt-cinq ans d’une vie politique passée au grand jour de la publicité. Cela est cruel, je dois le dire, pour mes honorables complices et pour moi. Je ne me plains pas de cette avanie, puisqu’elle est facultative et que chaque gouvernement a ses procédés. Je ne me plains pas non plus de la manière dont la chose s’est faite : le fonctionnaire chargé de cette exécution s’est comporté avec politesse. Mais j’ai besoin, afin que cette expérience que nous avons faite à nos dépens ne soit pas perdue, de dire quelle est mon impression.

» L’agent de police, quelque honorable qu’il puisse être de sa personne, pénétrant dans le sanctuaire domestique, s’introduisant de force dans cette intimité où nous laissons même rarement pénétrer nos meilleurs amis, cet agent, dis-je, devenu le confident imposé de nos secrets de famille et d’intérêt, et cela non pour saisir la trace d’un délit qui touche à l’honneur ou qui menace la sûreté publique, mais celle d’une lutte loyale qui s’est faite en pleine lumière, devant les électeurs, dans le but de faire triompher une opinion politique !… oh ! ne soyez pas étonnés, messieurs, qu’une telle pro-