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NOTES D’UNE FRONDEUSE

fanation blesse tous nos sentiments de pudeur et de délicatesse ; oui, vraiment, j’en suis navré, et, si l’expression émue de ces sentiments, sortant de la bouche d’un homme de cœur, devait faire renoncer le gouvernement à ces tristes habitudes, je m’applaudirais d’avoir été amené sur ces bancs. »

Qui parle ainsi ? C’est Laisant, Déroulède sans doute… peut-être Rochefort ? La scène se passe de nos jours, au Palais de justice ? Que dis-je, de nos jours ! Aujourd’hui même, sur le coup de midi, dans la salle de correctionnelle où vont être jugés les membres directeurs du Comité de la Ligue des Patriotes. Et, par avance, la fantaisiste que je suis, s’amuse à raconter les débats ! C’est bien cela, n’est-ce pas ?

Eh ! bien, non, pas cela du tout !

Le prévenu s’appelle Lazare-Hippolyte Carnot. Il a été élu député sept fois : en 1839, en 1842, en 1846, en 1850, en 1851, en 1857, en 1864. C’est un journaliste assez prisé, un « vétéran de la démocratie », ex-ministre du roi Louis-Philippe. Il est né à Saint-Omer, avoue soixante-trois ans et demeure rue du Cirque, numéro 2, en famille. 1l a même un fils, un grand garçon noiraud, ingénieur de mérite, mais qui ne semble pas appelé à de hautes destinées. Comme gloire, on vit sur l’aïeul.

C’est dans ce tranquille intérieur que la police a été quérir M. Carnot, ainsi qu’elle a fait envers presque tous ceux qui essuient de leur redingote d’avocats ou de représentants du peuple les deux — le plus souvent ! — les banquettes, gluantes et crasseuses, du contact des pochards ou des vagabonds.