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NOTES D’UNE FRONDEUSE

— Là, en avant… voyez la hampe.

— C’est Déroulède !

Je saisis la lorgnette et examinai. Il avait vraiment du chagrin, celui-là, ses yeux flambants fixés sur la coupole du Panthéon, en un extatique regard. Il suivait ce quelque chose de grand qui disparaissait, avec l’angoisse qu’ont les amoureux de lumière lorsque le soleil s’éteint.

Chose curieuse, avec sa longue redingote verte boutonnée jusqu’au col, son allure raide, cet air de jeune dur-à-cuire, il donnait la sensation très précise d’un recul dans le passé, la vision nette d’une autre cérémonie précédant de près d’un demi-siècle celle-ci — non plus le départ d’Homère, mais le retour de César… et, derrière le char qui ramenait, en une apothéose, les cendres impériales, un « brigand de la Loire » dont les vingt ans auraient vu Waterloo, quelque illuminé de la gloire napoléonienne, fidèle jusqu’à la mort, fidèle après la mort !

Non, ce garçon n’était pas ce qu’on m’avait dit, ce que je le croyais ; derrière le moulinet de ses gestes, je sentais quelque chose de plus grave, de meilleur, que le chauvinisme de parade dont il s’était drapé !

Le soir même (la vie a de ces hasards) j’entendis Thérésa chanter le Bon gîte.

— De qui est-ce, cette chanson simple qui émeut aux larmes ?

— De Déroulède.

Le lendemain, je faisais acheter les Chants du Soldat.

Je l’ai lu et relu ce petit bouquin, plein de tendresse et de bravoure, entraînant comme une sonnerie de