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NOTES D’UNE FRONDEUSE

clairon. Ah ! dame ! les rimes ne sont peut-être pas aussi riches que celles de Leconte de Lisle — mais de la richesse il n’a cure, celui-là qui a si allègrement gâché son patrimoine en l’honneur de son idée !

Regardez ses mains, elles sont ouvertes et nettes comme des mains de brave homme ; jamais une suée d’argent n’en a taché les paumes, jamais les ongles ne se sont ébréchés après le « sac » convoité. L’or — son or à lui — a glissé entre ses doigts comme par les trous d’un crible, alimentant l’œuvre, subvenant aux besoins de ceci, aux exigences de cela. Et le jour où il a eu mangé tout son bien, il s’est senti mieux ce qu’il devait être : gueux comme un poète, gueux comme un soldat !

Ce sera son éternel honneur, ce désintéressement de toute minute, ce dédain de la fortune après laquelle courent les autres hommes et dont il a si peu souci — ce grand ingénu qui ne demande au sol natal que le lopin recouvert de son ombre, pour s’y coucher, un jour, et mourir, le rhythme aux lèvres, l’épée au poing !

C’est parce que je sais cela que je l’estime de toute mon âme et que je l’aime de tout mon cœur, si profonds que soient les dissentiments qui nous séparent, sur les choses et sur les gens.

Le jour où on me le présenta, malgré moi mes yeux revenaient toujours à la boutonnière teintée de rouge, comme une blessure d’assassiné. Il devina ce que je pensais, et doucement :

— Non, je ne la dois pas à la guerre civile. C’est pour la campagne contre la Prusse, et vrai, je ne l’avais pas volée ! Après, dame, après, j’ai fait mon devoir… tristement ! On m’a tiré dessus, j’ai tiré dessus ; là-haut, à Belleville, je suis tombé, le bras fracassé. Mais je n’ai pas commis l’ombre d’une cruauté, je vous jure, pas,