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NOTES D’UNE FRONDEUSE

une lâche action ! La bataille finie, j’ai sauvé tous ceux que j’ai pu — je ne suis pas un acheveur de vaincus, vous le savez bien !…

Oui, je le sais bien ! Et, sans hésiter, j’ai mis ma main dans cette large main ignorante des traîtrises et des compromissions. Notre idéal n’est pas le même, nous ne rêvons pas les mêmes lendemains — qu’importe si l’adversaire est un convaincu, sans peur et sans reproche, tel que celui-là ! La foi est une, quelle que soit la divinité qu’on adore ; la même flamme brûle dans l’âme de l’Arabe accroupi à la Mecque ou de l’Indou prosterné devant Civa… Reste à savoir quel est le vrai Dieu !

Cela est si juste, que des croyances les plus opposées peut jaillir une colère semblable contre tout acte douteux. Rappelez-vous la hautaine lettre de Déroulède à M. de Rochefort, qui lui reprochait injurieusement d’avoir combattu les insurgés : « J’aime mieux, monsieur, ceux qui vont aux barricadés que ceux qui les y envoient. »

Il sera toujours, lui, où il enverra les autres ; on y peut compter ! Et l’entendant avant-hier, à la tribune de la Chambre, se déclarer si bellement « courtisan du malheur » ; affirmer, dans la déroute du parti, son inébranlable fidélité au chef désarmé ; flétrir les renégats et fouailler les délateurs, des réminiscences de Cervantès me hantaient l’esprit.

Allez, partez en guerre, bon chevalier de la Manche, protégez les faibles, délivrez les captifs, défendez les opprimés ! Laissez rire les sots, médire les méchants ; et si Sancho, bourgeois bourgeoisant, ventre repu, âme piètre, courage débile, piaille trop à vos trousses —